Leadership au féminin
Chapitre 5 : Charlyne Péculier, celle qui offrait un toit aux femmes victimes de violences
Avec la participation de Joanna Ducerf, Responsable engagement
- Romane Salvador
- 10 min

Charlyne Péculier est Fondatrice et Directrice générale de Un abri qui sauve des vies, une association qui propose des solutions d’hébergement temporaire aux victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Charlyne est aussi très investie en politique depuis ses 19 ans. Elle a même été la plus jeune candidate d’un des partis les plus importants du mouvement de la majorité présidentielle aux élections législatives de 2022 ! Elle est la preuve que l’on peut défendre des valeurs qui nous sont chères, mais aussi faire bouger les choses, quel que soit notre âge.
Démarrer un projet associatif ou entrepreneurial, cela intimide beaucoup de monde, peut-être d’autant plus quand on est jeune ET qu’on est une femme. De votre côté, vous avez lancé la plateforme de l’association en seulement une semaine. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Charlyne Péculier : Je crois que je ne me suis pas rendu compte de l’ampleur du travail que cela allait exiger. Il s’agissait à la base d’un projet étudiant mené avec trois autres étudiants de Master 2 en communication. Nous étions en plein confinement et notre responsable de Master nous a demandé d’inventer une initiative citoyenne qui serait utile pendant cette période particulière. Il y avait à ce moment-là une recrudescence de signalements de violences. On en parlait beaucoup, tout comme du manque de places pour accueillir ces victimes de violences. En parallèle, des personnes prêtaient leur appartement à des soignants afin qu’ils soient plus proches des hôpitaux. On s’est dit qu’on allait faire exactement la même chose, mais pour les victimes de violences.
Sur le coup, tout était hyper simple dans notre esprit d’étudiants – alors rien que ne l’était – sûrement aussi parce qu’on n’avait pas vocation à mettre le projet en place. Tout a changé lorsque notre responsable de Master nous a dit « Mais ça, en 72 heures, vous arrivez à le monter ». Cette phrase a été le déclic, elle a rendu les choses possibles.
Pendant le confinement, l’émission Ça commence aujourd’hui sur France 2 a interviewé Charlyne pour mettre en avant l’initiative : « Malgré ma formation en communication, je n’ai pas réalisé que cela allait faire exploser les compteurs, qu’on allait avoir plein de demandes et de propositions de logements, et qu’on allait donc devoir continuer au-delà du confinement. »
Quelles étaient vos compétences au début de l'aventure ?
« Sans la communication l’association n’existerait pas, puisqu’elle sensibilise et fait agir le grand public. »
CP : Elles étaient surtout axées sur la communication, puisque c’est ce que nous avions étudié ces 5 dernières années. Cela nous a permis de lancer un site Internet et d’être présents sur les réseaux sociaux pour commencer à mobiliser des gens. Sans la communication l’association n’existerait pas, puisqu’elle sensibilise et fait agir le grand public.
J’avais aussi un bon réseau, institutionnel, politique. L’initiative avait par exemple été partagée par le secrétariat d’État à l’égalité femmes-hommes pendant le confinement, une précieuse aide en termes de légitimité.
L'entrepreneuriat au sens large est l’une des solutions pour donner vie à ses convictions, mais il y a aussi la politique. De votre côté, vous jouez sur les deux tableaux. Qu’avez-vous l’habitude de dire à celles et ceux de votre âge qui considèrent que leur vote ne fera pas la différence ?
« La politique, c’est avoir une opinion. Et nous en avons toutes et tous. »
CP : C’est vrai que les débats politiques ne sont pas toujours faciles à suivre et que l’actualité est dense. Mais je pense qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes arrivent à se maintenir informés grâce à des alternatives comme HugoDécrypte.
J’entends aussi beaucoup le côté « je ne suis pas légitime à aller voter, car je ne comprends pas la politique ». Ce que je fais souvent dans ces cas-là, c’est que j’amène la personne à parler d’un sujet très concret qui la concerne. Je pense notamment à mon meilleur ami. Je l’encourage à débattre sur des questions qui le touchent, sur le racisme ou la lutte contre la discrimination par exemple, et il le fait très bien. La politique, c’est avoir une opinion. Et nous en avons toutes et tous.


Si vous aviez carte blanche pour promulguer dès demain une loi protégeant les femmes, quelle serait-elle ?
« On ne touche pas à une femme enceinte ni à une jeune maman. »
CP : Les femmes enceintes dans un cadre salarié sont protégées, mais elles cessent de l’être une fois en post-partum. C’est pourtant une période difficile. On pourrait imaginer que la protection des femmes soit prolongée après l’accouchement, sur une période définie. Je crois que ce serait une avancée importante.
C’est Pauline Martinot, médecin et spécialiste du sujet qui m’a soufflé cette idée. Elle précise :
« Protéger – au même rang que les période de vulnérabilité des mineurs et de sous curatelle/tutelle – les 9 mois de grossesse et l’année de post partum, qui est le pic le plus élevé de décès des femmes en âge de procréer, avec un taux de suicide élevé la première année post accouchement, pour toutes les femmes, même celles qui n’avaient aucun trouble psychique avant. On ne touche pas à une femme enceinte ni à une jeune maman. »
Grâce à Un abri qui sauve des vies, vous n’avez pas attendu qu’on vous donne carte blanche pour faire bouger les choses. Pouvez-vous partager avec nous une histoire marquante de l'association depuis sa création ?
Je me souviens m’être dit « Ok, il y a un vrai intérêt, j’ai une responsabilité. Il faut continuer ».
CP : Je vais vous partager le tout premier hébergement de l’association, que j’ai géré. Vers la fin du premier confinement, je reçois un appel sur mon téléphone portable – c’était à l’époque le numéro pour joindre l’association – au sujet d’une femme victime de violences intrafamiliales. Son fils majeur était très violent et il fallait qu’elle parte avec son autre fils. J’ai contacté une abritante qui avait laissé son appartement à disposition car elle était partie vivre chez sa mère le temps du confinement. Je vais chercher les clés, je lui fais signer un contrat, puis je me rends jusqu’au lieu d’hébergement dont je fais l’état des lieux.
La femme et son fils arrivent. C’est la première fois que je me retrouve confrontée à quelqu’un dans cette situation. Cette femme n’allait pas du tout bien, évidemment. Je l’installe avec son fils dans cet appartement qui était super, puis je repars, vidée de toute énergie. Je savais que ce n’était rien comparé à ce qu’elle vivait de son côté.
Environ un mois plus tard, je reviens pour récupérer les clés et faire l’état des lieux de sortie. La femme avait complètement changé. Elle s’était teint les cheveux d’une couleur plus claire, ça m’a marquée. Et puis surtout, elle souriait. Son fils aussi. Ce n’était plus la même personne. Je me souviens m’être dit « Ok, il y a un vrai intérêt, j’ai une responsabilité. Il faut continuer ».

Joanna Ducerf : L’expérience qui m’a le plus marquée est l’extraction d’une victime. Cette dame nous avait contactées pour nous expliquer sa situation. Elle avait eu notre contact par sa professeure de français, qui avait remarqué ce qu’elle subissait. La femme en question vivait retranchée chez elle, ne pouvait pas s’approcher de la fenêtre ni allumer la télévision. Même ses voisins n’avaient pas connaissance de son existence. Elle pouvait uniquement sortir pour ses cours de français.
Au fur et à mesure des appels, notre coordinatrice d’aide aux victimes a réussi à la convaincre de s’enfuir et nous avons commencé à préparer une extraction. Nous avons contacté la police pour agir lorsqu’elle aurait son cours de français puisque c’était le seul moment où son mari n’était pas présent. La veille de l’extraction, la femme a été prise d’un énorme élan de courage. Son mari était descendu faire une course et avait laissé sa veste avec les clés de l’appartement dans la poche. On pourrait croire à une scène de film, mais c’était la réalité. Son passeport sous le coude, elle sort de l’appartement et se réfugie en bas de chez elle dans une supérette. Elle nous appelle, on cherche à distance un taxi pouvant l’amener à la gare. Le stress est immense car le mari peut débarquer à tout moment.
On parvient finalement à la faire monter dans un taxi, puis dans un train, qui l’amène à Paris. On l’escorte ensuite pour qu’elle puisse déposer plainte. Alors que tout s’est fait dans l’urgence, tout s’est parfaitement coordonné. Je trouve que cet exemple illustre bien l’élan de solidarité qui définit notre association.
Quels sont les principaux besoins de l'association aujourd'hui et comment peut-on y contribuer ?
CP : On a toujours besoin de bénévoles. Il y a ceux du pôle aide aux victimes, qui font le suivi des personnes abritées et vont les soutenir. Il y a aussi le pôle relations avec les abritants, qui va faire les vérifications nécessaires au niveau des inscriptions et va gérer la partie hébergements. Et puis il y a les abritants, qui proposent un espace, une chambre ou un appartement sur un temps plutôt court, une quinzaine de jours en moyenne. Ce sont eux qui décident de la durée quand ils s’inscrivent et n’ont pas l’obligation de dire oui si on les appelle.
On est aussi en train de développer le mécénat de compétences avec Day One, pour accueillir des salariés qui pourraient dédier un peu de temps à l’association, que ce soit pour de la communication ou de la recherche de financement.
Pouvez-vous recommander un livre, film ou podcast en rapport avec la cause de la femme ?
CP : J’aime beaucoup le podcast Le cœur sur la table de Victoire Tuaillon. Il remet en question les schémas traditionnels de l’amour.
JD : Sur le volet amour et relation amoureuse, je conseille À propos d’amour de bell hooks, dans lequel l’autrice afroféministe définit l’amour comme un acte et non comme un sentiment. Elle démonte tous les obstacles que la culture patriarcale oppose à des relations d’amour saines. L’intime est politique, car le changement commence en chacun de nous.
Je pense aussi à l’essai de Lucile Peytavin intitulé Le coût de la virilité, que je cite chaque fois que je fais mes sensibilisations auprès de bénévoles. À travers une étude scientifique et sociologique, l’auteure met en lumière le fait que la violence a un genre. On sait par exemple que 86 % des homicides involontaires sont commis par des hommes, tout comme 99 % des viols et 96 % des violences au sein du couple, etc.


Un grand merci à Charlyne Péculier ainsi qu’à Joanna Ducerf, pour leur temps mais surtout pour le travail incroyable qu’elles accomplissent au quotidien avec Un abri qui sauve des vies. Nous en profitons pour vous dire, à vous chères lectrices et chers lecteurs, que vous pouvez vous aussi proposer un abri ou bien demander un abri. Restez à l’affût, car le mois prochain, nous vous réservons une nouvelle rencontre avec une femme inspirante !
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