Leadership au féminin

Chapitre 2 :  Jessica Matoua-David, celle qui aidait les femmes à occuper la place qu’elles méritent

Jessica Matoua David

Jessica Matoua-David est investie à 200 % dans la promotion de l’entrepreneuriat au féminin et la lutte pour l’égalité des chances. En tant que co-fondatrice et Présidente de NEMOW Lab, un think tank dédié à l’entrepreneuriat des femmes, elle connaît par cœur les défis et les opportunités rencontrés par les entrepreneures. Elle compte également plus de dix ans d’expérience dans le milieu associatif, au sein d’organisations telles que Elise Care et La Maison des Femmes.

Au fil de notre rencontre, Jessica nous a livré sa vision éclairée de l’entrepreneuriat féminin, plaidant pour une éducation inclusive dès le plus jeune âge. Elle a aussi exprimé son engagement sans faille pour la protection des femmes victimes de violence, un sujet sur lequel il est urgent d’agir.

Dans une interview accordée au média B SMART, vous déclarez que seulement 2 % des fonds sont destinés à des sociétés fondées par des femmes. Comment expliquez-vous cela ?

Jessica Matoua-David : Il est évident qu’il y a un sous-financement chronique des entreprises créées par des femmes, mais il faut mettre en perspective ce chiffre pour le comprendre : il y a également beaucoup moins de femmes qui se lancent dans l’entrepreneuriat.

L’entrepreneuriat est une équation complexe avec de nombreuses inconnues, dont le genre fait partie. Mais ce n’est pas la seule. Il y a un phénomène, qui m’énerve mais qui est réel, qui est l’autocensure des femmes. On dit que les femmes osent moins, qu’elles ont moins confiance en elles. Oui, mais cette autocensure est liée à nos ressources personnelles : qui sont nos parents, l’endroit où on a grandi, etc. Tout cela influence la suite de notre parcours. Selon d’où l’on vient et comment on a été élevé, on a par exemple plus ou moins été sensibilisé aux questions financières.

Donc c’est super de créer des dispositifs d’accompagnement des femmes, mais en fait, si on n’intervient pas beaucoup plus tôt pour casser cette fabrique du déterminisme, on aura du mal à faire bouger les lignes.

Le saviez-vous ? 💡

 Parmi les freins cités par les étudiant·es qui n’envisagent pas de reprendre ou diriger des entreprises, les hommes estiment davantage que le métier d’entrepreneur ne leur convient pas (94 % contre 81  % chez les femmes). Les femmes font plutôt état d’un manque de ressources (70 % pensent ne pas avoir les compétences nécessaires en termes de gestion contre 50 % chez les hommes et 70 % manquent à leurs yeux du réseau adéquat contre 40 % chez les hommes) et d’une forme d’autocensure (70 % n’ont pas assez confiance en elles contre 31 % chez les hommes).

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Comment fait-on pour agir à ce stade-là ?

« Ce qu’on apprend aujourd’hui à nos enfants changera la face du monde dans trente ans. »

JMD : L’école joue un rôle important. Parler très tôt d’argent aux élèves, ce serait par exemple une bonne chose. On pourrait aussi repenser l’utilisation du temps périscolaire pour proposer des activités enrichissantes et inspirantes, en collaboration avec des associations et des experts locaux. Il faut faire germer la graine le plus tôt possible pour créer des réflexes et des automatismes, faire pivoter nos façons de penser.

L’année dernière nous avons lancé un programme qui s’appelle « Quand je serai grande, je serai ». On organise des journées « déconstruction des stéréotypes genrés dans les métiers » à destination des collégiens (4e). Il est crucial de sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge à la diversité de métiers et de parcours professionnels qui existe. Ils doivent avoir accès à l’information, savoir que ça existe. On va aussi suivre un certain nombre de ces élèves dans le temps afin d’étudier les différentes étapes de l’orientation.

Ces actions sont une forme d’investissement. Ce qu’on apprend aujourd’hui à nos enfants changera la face du monde dans trente ans. On n’aura pas la ligne d’arrivée si on n’a pas la ligne de départ.

« Quand je serai grande », un film produit par Bpifrance Le Lab en partenariat avec NEMOW Lab et réalisé par Malmö Productions.

Quid du rôle des parents ?

JMD : Les parents ne peuvent malheureusement pas être partout. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas enseigner ces choses-là à leurs enfants, c’est qu’ils ne peuvent pas toujours, pour différentes raisons. Ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils sont, avec ce qu’ils ont dans leur bagage de ressources à eux.

En ce moment, on réfléchit justement à cet angle des parents extrêmement prescripteurs, en travaillant sur un programme d’accompagnement. On pourrait peut-être ainsi éviter des situations comme celle qu’a connue une jeune fille rencontrée à l’occasion de l’un de nos événements destiné aux collégiens. La jeune fille venait d’un collège d’une des villes les plus défavorisées de France et avait trouvé un stage dans un ministère. Sauf que ses parents n’ont pas voulu. Envoyer ses enfants dans un ministère, ça ne faisait pas partie de leurs codes. Ça leur a fait peur. Il y a beaucoup de choses à casser et à reconstruire. 

On voudrait maintenant aborder un fait d’actualité que vous avez dû suivre de près : l’inscription dans la Constitution de la liberté des femmes à recourir à l’IVG. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?

« Je suis rassurée pour ma fille, pour toutes les petites filles. »

Résultat des votes IVG dans la Constitution

JMD : It means the world ! On est les premiers à le faire, c’est hyper fort. Je suis extrêmement fière de mon pays. En revanche je n’oublie pas que 50 élus ont voté contre. Je n’ai pas compris. Cela démontre qu’on avait tendance à prendre pour acquis quelque chose qui ne l’était pas forcément. On l’a bien vu avec les États-Unis. Je suis rassurée pour ma fille, pour toutes les petites filles.

J’aurais voulu que ma grand-mère voie ça. Elle était infirmière et avait fait 5 mois de prison pour avoir pratiqué des avortements illégaux. Et puis j’ai moi-même avorté il y a quelques années. Je venais juste d’avoir ma fille, ce n’était pas le bon moment. Je me suis rendu compte sur le tard que j’étais enceinte, donc c’était serré au niveau des délais. J’ai pourtant dû laisser passer le délai légal de réflexion d’une semaine, alors que j’étais déjà ce qu’on pourrait qualifier de “mère de famille responsable”. J’avais envie d’hurler. J’ai aussi fait face à des hôpitaux qui m’ont dit ne pas le faire, ce qui m’a semblé dingue. Une phrase prononcée par l’un d’eux m’est restée : « Nous ne pratiquons pas d’avortement, nous avons choisi la vie ». J’ai été choquée de constater que ce choix ne m’appartenait pas complètement, en 2014, en France.

Si vous aviez carte blanche pour promulguer une loi dès demain protégeant les femmes, que choisiriez-vous ?

« Il est urgent de reconnaître une présomption de victime avant une présomption d’innocence. »

JMD : Ce ne serait pas une loi, mais plutôt la création d’un office central des violences faites aux femmes. Je travaille beaucoup sur ce sujet, j’ai notamment co-fondé la permanence juridique de La Maison des femmes à Saint-Denis, un lieu formidable créé par la tout aussi formidable Ghada Hatem et dédié aux femmes victimes de violences sexistes ou sexuelles. Il serait juste, dans certaines circonstances, de faire prévaloir le statut de victime présumée sur celui d’innocent présumé et d’adopter l’attitude adéquate à toutes les étapes du processus. 

Récemment encore, j’ai accompagné une de mes “patientes” au commissariat, un samedi. Elle avait mis beaucoup de temps à se décider à sauter le pas de la plainte. L’Officier de police judiciaire l’a regardée et lui a dit : « Ah des violences, mais faut pas venir le week-end pour ça, on est blindés. Repassez en semaine. ». Mais on est où là ?  Si je n’avais pas été avec elle à ce moment-là, elle repartait et ne revenait plus jamais. Ce n’est qu’un exemple, j’ai mille histoires de ce genre. 

Souhaitez-vous nous recommander un livre, film ou podcast en rapport avec la cause de la femme ?

JMD : J’aime tous les ouvrages de Michelle Perrot. C’est un peu mon modèle, je trouve que ce qu’elle écrit sur la question de l’égalité est très juste et avec un point de vue objectif d’historienne. Je conseille évidemment son ouvrage « Le temps des féminismes », celui dont j’ai gardé le plus de citations !

Michelle Perrot Le temps des féminismes

Un grand merci à Jessica Matoua-David pour cette conversation enrichissante et pour son incessant travail en faveur de l’autonomisation et la protection des femmes.  Restez à l’affût, car le mois prochain, nous vous réservons une nouvelle rencontre avec une femme inspirante !

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